mercredi 22 août 2012

« Les Récades des rois du Dahomey »



Un modèle de recherche pluridisciplinaire : « Les Récades des rois du Dahomey », par Alexandre Sènou Adandé », IFAN, 1962, 104 pages, 37 pages de planches, carte.


Je me permets aujourd’hui, en hommage à Feu Alexandre Sènou ADANDE, de vous parler brièvement d’un de ses ouvrages « Les récades des rois du Dahomey » et de ce qu’il a apporté, de cette manière,  à ma carrière  d’anthropologue et d’historien d’art. Cette carrière, je la lui dois en partie et c’est par là qu’il convient que je commence cette contribution à deux parties, un témoignage d’une part et une analyse d’ouvrage de l’autre. La pensée cartésienne dont les mérites sont certainement immenses, nous a habitués à exclure de nos « travaux scientifiques » les témoignages, puisqu’apparemment, ils sont un appendice à l’essentiel, l’analyse. Et pourtant, sans le rapport et la rencontre de l’homme qu’il fut, la probabilité est mince que je sois aujourd’hui ici à vos côtés. Et la science elle-même ne se construit qu’avec un matériau que l’on a rassemblé et dont la richesse et la consistance créent l’âme et le corps de la science. Tout est en tout et ne voici-t-il pas longtemps que la probabilité à exclu le hasard de nos spéculations et hypothèses ou en a limité l’impact à la plus petite valeur possible ? Les historiens de l’art redécouvrent aujourd’hui l’art total et une nouvelle science pour eux à l’horizon se lève, la « sensiotique » qui veut que désormais la discipline rende compte non seulement de ce que un seul sens, souvent la vue, permet d’appréhender, mais de tout ce que tous les sens en synergie permettent de découvrir et d’apprendre. L’homme se redécouvre ainsi un être-de-relations, construit par la somme des rencontres qu’il a faites et qui l’ont marqué et fait de lui ce qu’il est. Chacun de nous est donc comme un fleuve qui charrie en permanence la totalité de ces apports. Aussi votre généreuse indulgence me permettra-t-elle de redire comment Feu Alexandre Senou ADANDE a largement apporté sa pierre à l’édifice que je continue de construire jusqu’à ce jour.
Je  vous entretiendrai sommairement des circonstances de notre rencontre, et de sa présence tout au long de mes études universitaires dans notre pays dont je suis le premier historien d’art en titre. Cette présence s’est prolongée et étendue à mon séjour européen. Je vous montrerai ensuite comment il fut lui-même, dès le départ, un grand intellectuel, ce dont témoigne son ouvrage sur les récades des rois du Danomey. J’achèverai ma communication en l’ouvrant sur les perspectives de recherches et d’études plus larges suggérées par ce même ouvrage.





A – Une rencontre inoubliable sur le chemin d’une soutenance universitaire
J’ai rencontré Feu Alexandre Sènou Adandé grâce à son fils, Alexis Adandé archéologue au Département d’Histoire et d’Archéologie de la Faculté des Lettres&Arts et Sciences Humaines où nous servons encore tous les deux au moment où je rédige ce texte. Il est bien possible qu’il se souvienne de ce moment. Pour ma part, j’ai mémoire de l’avoir croisé  à Dantokpa, pas loin de la maison de son oncle. Il m’a appris, sobre comme à l’accoutumé, en deux mots, que son père était revenu et que je pouvais le rencontrer. Alexis savait que je m’intéressais alors à l’histoire de l’art et que Feu Karl Augustt Emmanuel m’avait demandé d’écrire un mémoire sur les «  tentures et les bas-reliefs du musée d’Abomey ». J’étais en pleine recherche de documents et d’information pour ce sujet. Le rendez vous fut vite pris et mes rencontres, plutôt régulières chez Monsieur Alexandre ADANDE qui était heureux de relire et corriger les textes que je lui portais, commencèrent. Il fallait tenir parole et apporter à l’échéance fixée par mes propres soins, la part de texte à relire et corriger. Oui, Alexandre ADANDE m’ouvrit les portes de sa maison, et me fit profiter de toute la richesse d’une bibliothèque dont les volumes sur l’art dépassaient pour le jeune étudiant que j’étais alors dans ce pays,  l’entendement. Il partagea avec moi la documentation qu’il avait sur mon sujet et me permit d’utiliser aussi bien les esquisses des bas-reliefs croqués par le peintre Lishou qu’une copie d’une toile appliquée ancienne dont il avait gardé la photographie. Ces éléments ont figuré dans le mémoire de maîtrise et il n’est pas impossible qu’ils aient contribué à me faire décrocher la mention très bien qu’un jury plus rigoureux encore que lui-même a daigné m’accorder alors. Il convient de ne pas oublier que l’homme était à la fois documentaliste, archiviste, ethnographe et ethnologue. Le Jury ? Parlons en très rapidement, parce qu’il nous rapprochera de l’analyse d’ouvrage.
Une soutenance publique dans les années 75, même d’un simple mémoire de maîtrise, était déjà un événement. Elle pouvait durer le temps que là-bas, au pays des blancs, on allouait à un Doctorat de Troisième cycle. Du moins le pensions nous en tant qu’étudiants et avions nous une sacrée crainte de l’échéance fatidique pour les plus courageux. A la mienne, mes maîtres pointilleux à souhait  passèrent de l’histoire à la sociologie, puis de la bande dessinée à l’ethnographie et à l’art, ensuite  de la théologie à la philosophie. Mais il était uniquement question de toile. Leur mine enjouée, disait bien combien manifestement ils faisaient l’orgueil de leur savoir. Ils jouissaient de me voir balbutier des réponses quelque peu maladroite pour assurer une défense comme c’est de règle. Ils avaient commencé à me pousser, comme c’est la loi dans ce genre de jeu, dans mes retranchements. Et l’un d’eux de m’interpeller  « Vous auriez dû », dit-il, «  rencontrer Monsieur Alexandre Adandé. Il est maintenant présent à Cotonou ». ET Monsieur ADANDE Alexandre qui m’avait fait l’immense honneur de venir à ma soutenance, à l’Université d’Abomey-Calavi, de se lever, au fond de la salle où il s’était discrètement assis, et de répondre : « Je suis là »…Vous imaginez la suite. Les questions furent plus « douces » et le gros nuage qui s’accumulait à l’horizon alla chercher fortune ailleurs, je ne sais où. La soutenance en tout cas ne dura pas plus de trois heures d’horloge puisque apparemment l’impétrant que j’étais avait dans son camp un homme dont la voix couvre les orages. Heureux et doux refuge aux heures de détresse ! 
Comme je l’ai mentionné ci-dessus,  je fus souvent présent dans les années 76 chez le savant ethnologue doublé  aussi d’un grand pédagogue, ne critiquant jamais mais toujours occupé à vous faire avancer selon la vitesse que vous lui proposiez. Il rectifiait toujours ce qui devait l’être,  ne faisant jamais économie de son point de vue et de sa vérité qu’il prenait soin d’étayer avec des arguments très précis. Ces présences dans la maison ADANDE à Akpakpa m’ont valu l’attention, le soin et la volonté de l’ethnologue de passer la main dans autant de domaines du savoir que possibles. Je n’évoquerai ici qu’un exemple, celui de la traduction dite « mot-à-mot ». Elle consiste à mettre sous chaque mot d’une langue comme le fongbe son sens en français avant de proposer de la phrase une version plus élaborée. C’était et c’est encore la seule méthode utilisée par la plupart des chercheurs en sciences humaines pour la traduction  des textes de chanson que l’on rencontre toujours dans les recherches culturelles dont celles du le plateau d’Abomey. Lui-même l’avait pratiquée dans son ouvrage « Les récades des rois du Dahomey » ; il pouvait donc l’enseigner, comblant ainsi les lacunes de ma formation à la recherche telle que dispensée alors aux historiens et géographes. Depuis, la Faculté s’est étoffée et le jeune maîtrisard, lorsqu’il a besoin d’un tel outil, sait trouver auprès des linguistes absents hier, la formation nécessaire à la sereine poursuite de ses travaux. On pourra par exemple vérifier qu’il ne reçoit pas un outil plus pointu que celui qui était déjà proposé dans les années 1975 par le savant homme.

B -Analyse de l’ouvrage

 C’est de l’ouvrage mentionné plus haut que je voudrais vous entretenir brièvement maintenant pour montrer à quel point il constituait, au moment où il fut mis à la disposition du public, un tournant dans les études sur la culture matérielle et artistique de notre pays. La recherche pluri-disciplinaire est aujourd’hui célébrée, voire parce que tout tant à prouver qu’un seul point de vue, un seul angle d’analyse ne peut plus cerner la totalité d’une question dans une culture. Mais voici déjà si longtemps que des aînés, comme lui, l’avaient maîtrisée, faisant de notre art un art total et par cet exemple, nous invitant à leur emboîter le pas. Dans le monde de l’art même nègre, qui connaissait les récades quand il en a discuté avec autant de brio ? Qui, en dehors du masque et de la statuaire, s’est intéressé à un bout de bois apparemment banal pour en démontrer toute l’importance dans son milieu d’origine, à la barbe de ceux qui prétendaient connaître l’Afrique mieux que les africains et que l’on nommait déjà « africanistes » ? L’auteur, non content de montrer l’importance de la récade comme représentation symbolique de la personne royale s’emploie à travers des études que nous nommons aujourd’hui transversales, à nous faire admirer la grande ingéniosité du peuple qui l’a conçue et sans y penser, la fait rentrer dans les archétypes du pouvoir non seulement dans son pays mais ailleurs dans le monde. Cette pensée a eu, pour ce qui concerne le Danhomè, des précurseurs.

1°) Les précurseurs
On ne peut discuter des récades sans se poser la question de ceux qui avant 1962  en ont fait mention, de façon directe ou indirecte, dans leurs écrits. Si une simple consultation de la bibliographie que nous propose l’auteur en donne une large vue, et oblige à se souvenir que des administrateurs des colonies comme Le Hérissé en 1911, Merwart (s.d), Waterlot par exemple figurent en bonne place, on n’y trouve pas de référence aux voyageurs du 19ème siècle dont les écrits sont en langue anglaise. Il est vrai et étonnant que Herskovits (1967) qui discute largement des arts plastiques et graphiques, consacrant de nombreuses pages à la sculpture, ne fait nullement référence aux récades. Ont-elles échappé à son regard à cause de leur cantonnement dans la sphère royale ou hautement sacrée ou tout simplement à cause de leur apparente banalité ? L’existence des « makpo » n’a en tout cas pas échappé à l’observation de Burton et de ses pairs. Ces auteurs n’auraient rien apporté d’autre à l’analyse de notre auteur que de certifier l’existence de la récade dans la longue durée. Il convient cependant de ne pas perdre de vue – et l’auteur insiste particulièrement sur cet aspect- dans son analyse transversale que « pour un peuple sans écriture, l’intérêt de ces pièces, les récades, réside en ce qu’elles constituent, dans une certaine mesure, un abrégé de l’histoire du pays, qu’elles permettent, grâce à leurs images et à leur symbolisme, d’imaginer, aujourd’hui, ce que fut la vie de cour avant l’occupation française, et qu’elles nous renseignent sur quelques aspects de la mentalité de nos ancêtres : c’est donc un accès de l’âme africaine que nous livrent ces productions »(Adandé, 1962 :13) Voyons de plus près dans quel contexte l’auteur se livre à cet exercice combien périlleux de l’exploration de l’imaginaire de nos ancêtres.

2°) Le contexte.

L’ouvrage sur les récades ne se comprend vraiment bien que si l’on prend conscience du cadre où il s’inscrit, un cadre beaucoup plus large que celui qu’évoque son auteur à la page 9. Certes, il y eut stage au Musée de l’Homme à Paris. Mais le Gun qu’il était aurait pu décliner l’offre d’étudier la culture Fon. µAu pire des cas, il aurait été mieux reçu chez lui, s’il s’était rabattu par exemple sur les pièces yoruba. Les Gun et les Yoruba partagent la même niche écologique et ils ont entretenu des rapports multiséculaires dont l’impact sur la créativité à Xogbonou-Adjatchè ne se discute pas. Les sources orales ne rapportent-elles pas que les premiers occupants du site de la ville seraient Yoruba et n’observe-t-on pas aujourd’hui un sanctuaire dédié au « serpent à neuf têtes » qu’ils ont vénéré, à Akron[1] chasseurs en quête de gibier ? Tout bon Gun n’est-il pas locuteur de Yoruba ?  Ce n’était pas les pièces yoruba et gun qui manquaient dans une réserve riche de plus de 50.000 objets en provenance de la colonie du Dahomey dans les années 50. On pourrait bien me rétorquer que les Gun et les Fon sont cousins. Oh certes, à Xogbonou[2], on parle le « alada gbe », la langue d’Alada et les Gun tout comme les Fon reconnaissent, lorsqu’ils sont cultivés dans leurs propres sources orales, savent bien que leurs origines ancestrales sont bien à Allada[3] même si l’histoire plus récente a prouvé que les liens de parenté n’ont pas suffi à éviter les nombreuses guerres dues aux intérêts commerciaux et de pouvoir. Avoir maintenu ce sujet d’étude signe la grande ouverture d’esprit de l’homme, son sens de la patrie qui ne se limite pas aux berges de la lagune à Porto-Novo ou du pays yoruba voisin. On peut aussi y lire la curiosité et donc l’intelligence du chercheur, son audace même, qualités qui ont toujours été appréciées dans le monde de la recherche universitaire. Voici donc un Gun de naissance, pétri de culture Yoruba qui se tourne vers ses cousins Fon pour les étudier et restituer en français les résultats de ses travaux. Senghor disait que le métissage était l’avenir de l’humanité. J’imagine qu’il l’entendait tant au sens figuré que réel. Voici donc un vrai métis culturel qui ne trompe pas et qui chaque fois se mettra à la hauteur des exigences de chacune des cultures concernées. Il convient, me semble-t-il, de prendre en compte les combats politiques de l’homme partisan du RDA et grand panafricaniste, convaincu que l’isolement ne nous mènera nulle part et que l’ouverture sur l’autre, sa rencontre, sur la base de l’égalité tout de même sont les gages d’un avenir meilleur.
L’introduction de l’ouvrage nous rappelle aussi une des qualités humaines du chercheur : sa grande humilité. Elle le pousse à accepter la proposition de Mme Denise Paulme, « l’étude des récades des rois du Dahomey dont le Musée possédait un grand nombre d’exemplaires, hérités de l’ancien Musée du Trocadéro et datant, pour la plupart, d’avant et d’aussitôt après la conquête du Dahomey »(Adandé, 1962 :9). Les maîtres ont toujours été  des guides dans la formation de la relève. S’ils indiquent despistes et ouvrent des voies, ils ne peuvent contraindre à les emprunter. Feu Alexandre Sènou Adandé fut suffisamment perspicace pour pressentir que malgré les possibles difficultés, le sujet serait de grande utilité pour la postérité.
Ce ne sont pourtant là que les prémisses. Le chercheur fait la preuve de sa maîtrise des principes  méthodologiques lorsqu’il s’empare de son sujet et, après avoir situé par une carte(Adande, 1962verso du sommaire) que l’on retrouvera dans la plupart des ouvrages sur le Dahomey jusqu’à nos jours, l’analyse, en fait l’historique en rapport avec le manche de houe qui se transforme en objet de parade, le décrit dans sa forme et en montre la ressemblance formelle avec la hache senoufo de parade en cuivre ancien(Adande,1962 :20).
 La culture anthropologique, ethnologique et historique apparaît dans l’examen des types d’objets similaires en Afrique de l’Ouest : « Au Soudan », écrit-il, » la crosse en bois rappelant la récade est une arme masculine et symbolise la force. Elle surmonte le toit des temples de la divinité BINU. Chaque famille avait son Binu, espèce animale à laquelle elle voue un respect particulier en mémoire d’une alliance autrefois conclue entre l’animal de cette espèce et l’ancêtre de la famille ». Puis notre chercheur passe en Haute Volta, au Congo belge où il trouve des objets de facture similaire.
C’est toutefois dans la suite de l’analyse que l’on devrait saisir le génie créateur de l’ethnologue. La simple observation de l’objet, s’il pouvait conduire à son utilisation dans la diplomatie et cela de façon universelle, ne prédisait pas ses rapports avec les tambours que l’on ne retrouve pas dans toutes les cultures.  Le chercheur a mis à nu de tels rapports et retranscrit la chanson célèbre maintenant de « Dada Sègbo ma Wa nude et ma non wa o gbè nude ni wa bo wa sè mè vo ». Elle ne fut pas la seule et d’autres comme celles des amazones ont aussi été retranscrites . Mais celle-ci est bien à sa place ; elle a la particularité d’amener dans l’arène sa majesté, le roi des Fon. Et il danse. Les images que nous offre l’ethnologue à cepropos ne sont pas ternes car le roi le fait devant tous, suivi de ses ministres qui l’imitent. On comprend ainsi ce qui est dit à mot couverts : le monarque partage la culture de ses sujets mais mieux qu’eux, il manipule, à cette occasion, la récade avec une adresse remarquable : « A la fin de ce chant, préambule à la danse royale, les servants dégagent rapidement le passage afin que le roi puisse entrer librement dans le cercle de la danse. Celui-ci s’avance majestueusement, décroche sa récade de l’épaule gauche, la brandit en l’air et la ressaisit de la main droite…Les ministres peuvent danser en tenant leur récade mais les griots « tiennent leur récade spéciale appuyée sur le sol ». Son utilisation n’est donc pas la même pour tous. Beaucoup se souviendront que cette chanson a été exécutée par l’auteur lors du colloque du centenaire de la mort du roi Glèlè, à Abomey, à la grande émotion des participants dont certains se dont donnés la joie de reprendre le refrain. Voilà donc un Gun qui va au cœur d’une culture sœur pour y prendre ce qui s’y trouve de meilleur.

2°) Un corpus substantiel et international

Les  historiens d’art admireront l’étendue du corpus de récades utilisé pour la démonstration mais aussi pour la comparaison qui est allée des objets présents à Paris et qui se nombrent à 112 aux 49 encore conservés à l’époque au musée historique d’Abomey(Adandé, 1962 :32).  Dans ce genre, la centaine depièces est requise pour pouvoir tirer des conclusions crédibles. Nous sommes bien, avec un total de 161 pièces en droit d’espérer que les résultats sont sûrs. Il eût certainement été possible de l’étendre aux collections présentes dans les autres établissements similaires en France comme ceux de Lyon, de la Rochelle, de Nantes célèbre pour la traite des Esclaves. La comparaison avec ce que d’autres musées en Europe détenaient aurait aussi pu être très instructive. Mais le mieux est souvent l’ennemi du bien et il convient de ne pas oublier que nous sommes dans le contexte colonial où chaque maître devait défendre et protéger sa colonie.
Les historiens et anthropologues d’art s’étonneront sans doute de constater que, tan disque tous les rois d’Abomey à l’exception de Adandozan (1797-1818) ont au moins une récade dans la collection du Musée de l’Homme, ni Dako qui a régné vers 1610, ni Akaba (1680-1708), ni Tegbessou(1728-1775) et Adandozan(1797-1818)  n’en aient  une seule dans les réserves du Musée d’Abomey.
 A la lecture de l’ouvrage, ils constateront que les rois n’étaient pas les seuls à détenir des récades mais que les reines ou les princes, les guerriers Blu[4], les Wesi, les dignitaires de culte comme ceux de Xebioso pouvaient aussi en posséder et qu’à nouveau, le nombre de ceux que l’on trouve en « métropole » est de loin plus important que celui dont dispose le musée historique d’Abomey. Ce constat amène naturellement à se demander si de toutes celles qui sont dans les réserves du grand musée parisien, aucune ne peut servir à combler les vides de collection dans le pays d’origine. Ce n’est peut-être pas le lieu de plaider à nouveau pour la restitution des biens culturels. Mais les spécialistes de la question estiment à raison aujourd’hui qu’un tel acte ne serait que justice. C’est le cas de Godonou Alain(2007 :114) qui décrit le manque drastique dont souffrent les musées africains incapables, à l’instar de leurs pairs occidentaux, de continuer d’éduquer leur jeunesse à partir de leur propre patrimoine : « …Quand bien même les marbres du Parthénon ne retourneraient pas en Grèce, les jeunes grecs d’aujourd’hui ont la chance de disposer d’institutions muséales ou patrimoniales suffisamment riches en témoignages de la civilisation grecque, et qui tiennent une place importante dans leur éducation, alimentant leur imaginaire et leur réflexion sur le mondeQue ceux qui ont du mal à appréhender ces données essayent d’imaginer que l’essentiel des collections des musées européens d’histoire et d’art témoignant des civilisations grecque, romaine, de la Renaissance, etc., jusqu’au début du siècle dernier, se trouve hors d’Europe, pour comprendre les manques et les traumatismes que cela représenterait pour les fondations historiques, philosophiques, technologiques des cultures européennes, et pour les héritiers de ce patrimoine ».
Il a fallu que l’ethnologue se rende bien à Paris pour pouvoir étudier les récades des rois du Dahomey. Si personne ne se scandalise de ce fait parce que nous étions encore très proche de la période coloniale, aujourd’hui, un tel déplacement, même pour des raisons d’étude, se justifie de moins en moins et s’explique d’autant moins aussi. Monsieur Didier Houenoude, au dernier congrès du CIHA à Nuremberg[5]  a présenté une communication « Objet de musées et enseignement de l’histoire de l’art au Bénin » où il montre la réelle difficulté qu’un enseignant a aujourd’hui à discuter de pièces d’art de grand symbolisme absentes des collections nationales comme c’est le cas du siège du roi Béhanzin propriété du Musée du Quai Branly aujourd’hui.
Les lecteurs s’émerveilleront de la profondeur de l’analyse qui montre comment naît une œuvre symbolique de la victoire des aladahonou[6] sur leurs ennemis, comment la houe, outil aratoire, se transforme en un objet de parade qui s’accroche, sur les beaux vêtements ; s’ils habitent l’actuelle République du Bénin ils constateront que la récade est devenue la pièce indispensable désormais pour marquer les pas de danse..

3° L’univers des picto-idéogrammes du peuple Fon
L’auteur montre aussi à travers sa présentation, que le peuple Fon est un remarquable créateur d’idéogrammes. Il convient donc tout d’abord de s’émerveiller de la richesse de  cet imaginaire Fon qui voit dans le bout de bâton courbé non seulement un manche de houe mais une tête de lion, avec une crinière sans jamais perdre de ses aptitudes premières d’arme ou de massue que l’on peut l’agrémenter de diverses manières que l’ethnologue- chercheur a décrites par les images qu’il nous en a montrées. Le verbe-imagé est bien la particularité des civilisiations de l’oralité. Le roi en disant qu’il est un lion laisse bien percevoir sa domination sur tous les animaux de la forêt ; mais la métaphore animalière qu’il utilise peut se transformer assez facilement en un objet concret revêtu de la forme suggérée. Fort heureusement, tous les rois du Danxomè ont procédé de cette même manière offrant du coup un large éventail d’images que les artistes et créateurs de cour sauront utiliser pour les célébrer. Ils pourront aussi recourir aux textes du kpanlingan qui, malgré son caractère oral, se prête facilement à une bonne visualisation. Jérôme Alladaye dans son ouvrage sur le kpanlingan(2010 :7) a bien raison de se référer à un autre grand maître de l’utilisation des sources orales pour construire l’histoire Joseph Ki-Zerbo qui dit ceci : « l’écrit, si utile soit-il, fige et dessèche. Il décante, dissèque, schématise et pétrifie : la lettre tue. La tradition orale habille de chair et de couleurs. Elle irrigue de sang le squelette du passé. Elle présente sous les trois dimensions ce qui est trop souvent écrasé sur la surface bidimensionnelle de la feuille de papier ». Les images de Ki-Zerbo sont bien aussi celles du monde de l’art, et on pourrait bien se demander s’il ne fait pas allusion à la peinture et à la sculpture, laquelle a été jusqu’à présent considérée comme le principal mode d’expression de l’Afrique.
Il est à déplorer que l’ensemble de l’ouvrage de Jérôme Alladaye ne s’occupe que de l’histoire stricto sensu et n’aborde nullement la qualité des images visuelles suggérées par les textes oraux dont la culture Fon est si friande et qu’elle a su transformer en picto-idéogrammes sur les calebasses gravées ou pyrogravées, sur les toiles appliquées ou les bas-reliefs et aussi sur lesrécades dont elles constituent la partie supérieure.

C – Un terrain de recherche peu courru.
Peu de recherches ont continué à être faites sur ce sujet. Il me souvient que le Museum National d’Histoire Naturelle à Paris, a entrepris il y a une dizaine d’années déjà, de reprendre ces études. Il conviendrait, qu’au plan national, la même démarche soit entreprise et que sur la vieille corde de nouvelles puissent se tisser. Le sujet se prête à de belles études de sociologie et d’anthropologie de l’art dont l’histoire de l’art elle-même et l’esthétique se nourrissent. Il pourrait par exemple permettre d’analyser la dispersion du modèle Fon de pouvoir en dehors du noyau central de ce  pouvoir qui, du point de vue des arts, a surtout pris aux autres pour se dire et se faire. Pourquoi le royaume cousin de Xogbonou n’a-t-il pas de récade dans ses armoiries et ses pratiques ? Quelle pièce la remplace et à quels usages ?  Associé à d’autres regalia, la récade pourrait montrer une volonté de vulgarisation de modèle vestimentaires pour des classes précises de citoyens, les chanteurs traditionnels par exemple. Enfin, les dons des affaires étrangères et des institutions internationales n’ont-elles pas, à partir de cette pièce, créé de nouveaux besoins de décoration et la récade n’est-elle pas devenue un puissant marqueur d’identité béninoise  aussi fort que le kente pour le Ghana ? C’est à l’Afrique qu’il apppartient de veiller à la préservation de ces signes culturellement forts et dont le lien avec notre passé continue d’être présent au cœur de nos cités, de nos us et coutumes.
                                                           Joseph C E ADANDE
                                                          
Bibliographie Sommaire
Adandé, A, 1962 : Les récades des rois du Dahomey, Ifan, Dakar, 104 pages, 37 pages de planches, carte
AkideleAkinsowon : Iwe itan Ajase ati oniruru, owo keji, Printed by The Ife-Olu Printing works, Lagos Nigeria, sd, 126 p

Godonou Alain, 2007 : « A propos del’universalité et du retour des biens culturels » in Réinventer les musées, Africultures, Dossier n° 70, pp 114-117

Herskovits, M,J, 1967 : Dahomey, an ancient West African Kingdom, Northwestern University Press, Evanston, 2 vol.

Pazzi, R, 1973 : Notes sur l’aire culturelle d’origine AJA,Lomé, 1973, 130 pages, ronéotypées, carte

Houenoude, Didier, 2012 : « « Objet de musées et enseignement de l’histoire de l’art au Bénin » Communication au Congrès du CIHA, Nuremberg 2012 en cours de publication.


[1] Akron est un des quartiers de la ville.
[2] Xogbonou, Adjatchè et Porto-Novo désignent la même ville. La première appellation signifierait « devant la grande case » en référence à un grand édifice qu’y aurait construit Tè-Agbanlin, fondateur de la ville. Adjatchè est l’appellation Yoruba de la même cité. Elle traduirait la victoire des Adja de l’Ouest sur les Yoruba fondateurs du premier noyau urbain. Porto-Novo serait dû à Eucaristus De Campos qui en voyant la ville aurait pensé qu’elle ressemblait à la ville de Porto au Portugal, mais ce serait la nouvelle Porto ou le nouveau port…de la traite. Pour cette dernière version, on peut se référer à « Iwe Itan Ajase de Akindele Akinsowon »,P5 : « Awon oyinbo Aguda ti o nse owo Eru ni o fun ilu yi ni oruko Porto-Novo, Itumo eyiti ise « Ebute Titun » « Ce sont les portugais trafiquants d’esclaves qui ont donné le nom de Porto-Novo à cette ville, dont la signification est « nouveau port ».
[3] Allada qui devrait s’écrire Alada, est le point d’arrêtimportant de la migration des fils du roi de Tado qui fonderont par la suite les trois royaumes cousins d’Alada, Agbomè et Xogbonou.
[4] Les Blu ou Blunu sont une aile de l’armée du Danxomè composée essentiellement, selon les sources orales, de ressortissants de l’Ashanti, ou de l’ouest du royaume du Danxomè. Pazzi (1973 :123) estime que l’lappelation désigne les peuples d’origine « Tekyiman ».
[5] Ce congrès a eu lieu du 15 au 21 Juillet.
[6]  Le terme désigne les migrants d’Adja-Tado installés à Allada d’où ils iront à l’assaut d’autres espaces et s’y installeront comme rois.