Un modèle de recherche pluridisciplinaire :
« Les Récades des rois du Dahomey », par Alexandre Sènou
Adandé », IFAN, 1962, 104 pages, 37 pages de planches, carte.
Je me permets aujourd’hui, en hommage
à Feu Alexandre Sènou ADANDE, de vous parler brièvement d’un de ses ouvrages
« Les récades des rois du Dahomey » et de ce qu’il a apporté, de
cette manière, à ma carrière d’anthropologue et d’historien d’art. Cette carrière,
je la lui dois en partie et c’est par là qu’il convient que je commence cette
contribution à deux parties, un témoignage d’une part et une analyse d’ouvrage
de l’autre. La pensée cartésienne dont les mérites sont certainement immenses,
nous a habitués à exclure de nos « travaux scientifiques » les
témoignages, puisqu’apparemment, ils sont un appendice à l’essentiel,
l’analyse. Et pourtant, sans le rapport et la rencontre de l’homme qu’il fut,
la probabilité est mince que je sois aujourd’hui ici à vos côtés. Et la science
elle-même ne se construit qu’avec un matériau que l’on a rassemblé et dont la
richesse et la consistance créent l’âme et le corps de la science. Tout est en
tout et ne voici-t-il pas longtemps que la probabilité à exclu le hasard de nos
spéculations et hypothèses ou en a limité l’impact à la plus petite
valeur possible ? Les historiens de l’art redécouvrent aujourd’hui
l’art total et une nouvelle science pour eux à l’horizon se lève, la
« sensiotique » qui veut que désormais la discipline rende compte non
seulement de ce que un seul sens, souvent la vue, permet d’appréhender, mais de
tout ce que tous les sens en synergie permettent de découvrir et d’apprendre.
L’homme se redécouvre ainsi un être-de-relations, construit par la somme des
rencontres qu’il a faites et qui l’ont marqué et fait de lui ce qu’il est.
Chacun de nous est donc comme un fleuve qui charrie en permanence la totalité
de ces apports. Aussi votre généreuse indulgence me permettra-t-elle de redire
comment Feu Alexandre Senou ADANDE a largement apporté sa pierre à l’édifice
que je continue de construire jusqu’à ce jour.
Je
vous entretiendrai sommairement des circonstances de notre rencontre, et
de sa présence tout au long de mes études universitaires dans notre pays dont
je suis le premier historien d’art en titre. Cette présence s’est prolongée et
étendue à mon séjour européen. Je vous montrerai ensuite comment il fut
lui-même, dès le départ, un grand intellectuel, ce dont témoigne son ouvrage
sur les récades des rois du Danomey. J’achèverai ma communication en l’ouvrant
sur les perspectives de recherches et d’études plus larges suggérées par ce
même ouvrage.
A – Une rencontre inoubliable sur le
chemin d’une soutenance universitaire
J’ai rencontré Feu Alexandre Sènou Adandé
grâce à son fils, Alexis Adandé archéologue au Département d’Histoire et
d’Archéologie de la Faculté des Lettres&Arts et Sciences Humaines où nous
servons encore tous les deux au moment où je rédige ce texte. Il est bien
possible qu’il se souvienne de ce moment. Pour ma part, j’ai mémoire de l’avoir
croisé à Dantokpa, pas loin de la maison
de son oncle. Il m’a appris, sobre comme à l’accoutumé, en deux mots, que son
père était revenu et que je pouvais le rencontrer. Alexis savait que je
m’intéressais alors à l’histoire de l’art et que Feu Karl Augustt Emmanuel
m’avait demandé d’écrire un mémoire sur les « tentures et les
bas-reliefs du musée d’Abomey ». J’étais en pleine recherche de documents
et d’information pour ce sujet. Le rendez vous fut vite pris et mes rencontres,
plutôt régulières chez Monsieur Alexandre ADANDE qui était heureux de relire et
corriger les textes que je lui portais, commencèrent. Il fallait tenir parole
et apporter à l’échéance fixée par mes propres soins, la part de texte à relire
et corriger. Oui, Alexandre ADANDE m’ouvrit les portes de sa maison, et me fit
profiter de toute la richesse d’une bibliothèque dont les volumes sur l’art dépassaient
pour le jeune étudiant que j’étais alors dans ce pays, l’entendement. Il partagea avec moi la
documentation qu’il avait sur mon sujet et me permit d’utiliser aussi bien les
esquisses des bas-reliefs croqués par le peintre Lishou qu’une copie d’une
toile appliquée ancienne dont il avait gardé la photographie. Ces éléments ont
figuré dans le mémoire de maîtrise et il n’est pas impossible qu’ils aient
contribué à me faire décrocher la mention très bien qu’un jury plus rigoureux
encore que lui-même a daigné m’accorder alors. Il convient de ne pas oublier
que l’homme était à la fois documentaliste, archiviste, ethnographe et
ethnologue. Le Jury ? Parlons en très rapidement, parce qu’il nous rapprochera
de l’analyse d’ouvrage.
Une soutenance publique dans les
années 75, même d’un simple mémoire de maîtrise, était déjà un événement. Elle
pouvait durer le temps que là-bas, au pays des blancs, on allouait à un
Doctorat de Troisième cycle. Du moins le pensions nous en tant qu’étudiants et
avions nous une sacrée crainte de l’échéance fatidique pour les plus courageux.
A la mienne, mes maîtres pointilleux à souhait passèrent de l’histoire à la sociologie, puis
de la bande dessinée à l’ethnographie et à l’art, ensuite de la théologie à la philosophie. Mais il
était uniquement question de toile. Leur mine enjouée, disait bien combien
manifestement ils faisaient l’orgueil de leur savoir. Ils jouissaient de me
voir balbutier des réponses quelque peu maladroite pour assurer une défense
comme c’est de règle. Ils avaient commencé à me pousser, comme c’est la loi
dans ce genre de jeu, dans mes retranchements. Et l’un d’eux de m’interpeller « Vous auriez dû »,
dit-il, « rencontrer Monsieur
Alexandre Adandé. Il est maintenant présent à Cotonou ». ET Monsieur
ADANDE Alexandre qui m’avait fait l’immense honneur de venir à ma soutenance, à
l’Université d’Abomey-Calavi, de se lever, au fond de la salle où il s’était
discrètement assis, et de répondre : « Je
suis là »…Vous imaginez la suite. Les questions furent plus
« douces » et le gros nuage qui s’accumulait à l’horizon alla
chercher fortune ailleurs, je ne sais où. La soutenance en tout cas ne dura pas
plus de trois heures d’horloge puisque apparemment l’impétrant que j’étais
avait dans son camp un homme dont la voix couvre les orages. Heureux et doux
refuge aux heures de détresse !
Comme je l’ai mentionné
ci-dessus, je fus souvent présent dans
les années 76 chez le savant ethnologue doublé aussi d’un grand pédagogue, ne critiquant
jamais mais toujours occupé à vous faire avancer selon la vitesse que vous lui
proposiez. Il rectifiait toujours ce qui devait l’être, ne faisant jamais économie de son point de
vue et de sa vérité qu’il prenait soin d’étayer avec des arguments très précis.
Ces présences dans la maison ADANDE à Akpakpa m’ont valu l’attention, le soin
et la volonté de l’ethnologue de passer la main dans autant de domaines du
savoir que possibles. Je n’évoquerai ici qu’un exemple, celui de la traduction
dite « mot-à-mot ». Elle consiste à mettre sous chaque mot d’une
langue comme le fongbe son sens en français avant de proposer de la phrase une
version plus élaborée. C’était et c’est encore la seule méthode utilisée par la
plupart des chercheurs en sciences humaines pour la traduction des textes de chanson que l’on rencontre
toujours dans les recherches culturelles dont celles du le plateau d’Abomey.
Lui-même l’avait pratiquée dans son ouvrage « Les récades des rois du Dahomey » ; il pouvait donc l’enseigner,
comblant ainsi les lacunes de ma formation à la recherche telle que dispensée
alors aux historiens et géographes. Depuis, la Faculté s’est étoffée et le
jeune maîtrisard, lorsqu’il a besoin d’un tel outil, sait trouver auprès des
linguistes absents hier, la formation nécessaire à la sereine poursuite de ses
travaux. On pourra par exemple vérifier qu’il ne reçoit pas un outil plus
pointu que celui qui était déjà proposé dans les années 1975 par le savant
homme.
B -Analyse de l’ouvrage
C’est de l’ouvrage mentionné plus haut que je
voudrais vous entretenir brièvement maintenant pour montrer à quel point il
constituait, au moment où il fut mis à la disposition du public, un tournant
dans les études sur la culture matérielle et artistique de notre pays. La
recherche pluri-disciplinaire est aujourd’hui célébrée, voire parce que tout
tant à prouver qu’un seul point de vue, un seul angle d’analyse ne peut plus
cerner la totalité d’une question dans une culture. Mais voici déjà si
longtemps que des aînés, comme lui, l’avaient maîtrisée, faisant de notre art
un art total et par cet exemple, nous invitant à leur emboîter le pas. Dans le
monde de l’art même nègre, qui connaissait les récades quand il en a discuté
avec autant de brio ? Qui, en dehors du masque et de la statuaire, s’est
intéressé à un bout de bois apparemment banal pour en démontrer toute
l’importance dans son milieu d’origine, à la barbe de ceux qui prétendaient
connaître l’Afrique mieux que les africains et que l’on nommait déjà
« africanistes » ? L’auteur, non content de montrer l’importance
de la récade comme représentation symbolique de la personne royale s’emploie à
travers des études que nous nommons aujourd’hui transversales, à nous faire
admirer la grande ingéniosité du peuple qui l’a conçue et sans y penser, la
fait rentrer dans les archétypes du pouvoir non seulement dans son pays mais
ailleurs dans le monde. Cette pensée a eu, pour ce qui concerne le Danhomè, des
précurseurs.
1°) Les
précurseurs
On ne peut discuter des récades sans se poser la
question de ceux qui avant 1962 en ont
fait mention, de façon directe ou indirecte, dans leurs écrits. Si une simple
consultation de la bibliographie que nous propose l’auteur en donne une large
vue, et oblige à se souvenir que des administrateurs des colonies comme Le
Hérissé en 1911, Merwart (s.d), Waterlot par exemple figurent en bonne place,
on n’y trouve pas de référence aux voyageurs du 19ème siècle dont
les écrits sont en langue anglaise. Il est vrai et étonnant que Herskovits
(1967) qui discute largement des arts plastiques et graphiques, consacrant de
nombreuses pages à la sculpture, ne fait nullement référence aux récades.
Ont-elles échappé à son regard à cause de leur cantonnement dans la sphère
royale ou hautement sacrée ou tout simplement à cause de leur apparente banalité ?
L’existence des « makpo » n’a en tout cas pas échappé à l’observation
de Burton et de ses pairs. Ces auteurs n’auraient rien apporté d’autre à
l’analyse de notre auteur que de certifier l’existence de la récade dans la
longue durée. Il convient cependant de ne pas perdre de vue – et l’auteur
insiste particulièrement sur cet aspect- dans son analyse transversale que « pour un peuple sans écriture, l’intérêt de
ces pièces, les récades, réside en ce qu’elles constituent, dans une certaine
mesure, un abrégé de l’histoire du pays, qu’elles permettent, grâce à leurs
images et à leur symbolisme, d’imaginer, aujourd’hui, ce que fut la vie de cour
avant l’occupation française, et qu’elles nous renseignent sur quelques aspects
de la mentalité de nos ancêtres : c’est donc un accès de l’âme africaine
que nous livrent ces productions »(Adandé, 1962 :13) Voyons de plus près dans quel contexte l’auteur
se livre à cet exercice combien périlleux de l’exploration de l’imaginaire de
nos ancêtres.
2°) Le
contexte.
L’ouvrage sur les récades ne se
comprend vraiment bien que si l’on prend conscience du cadre où il s’inscrit,
un cadre beaucoup plus large que celui qu’évoque son auteur à la page 9.
Certes, il y eut stage au Musée de l’Homme à Paris. Mais le Gun qu’il était
aurait pu décliner l’offre d’étudier la culture Fon. µAu pire des cas, il
aurait été mieux reçu chez lui, s’il s’était rabattu par exemple sur les pièces
yoruba. Les Gun et les Yoruba partagent la même niche écologique et ils ont
entretenu des rapports multiséculaires dont l’impact sur la créativité à
Xogbonou-Adjatchè ne se discute pas. Les sources orales ne rapportent-elles pas
que les premiers occupants du site de la ville seraient Yoruba et
n’observe-t-on pas aujourd’hui un sanctuaire dédié au « serpent à neuf
têtes » qu’ils ont vénéré, à Akron[1]
chasseurs en quête de gibier ? Tout bon Gun n’est-il pas locuteur de
Yoruba ? Ce n’était pas les pièces
yoruba et gun qui manquaient dans une réserve riche de plus de 50.000 objets en
provenance de la colonie du Dahomey dans les années 50. On pourrait bien me
rétorquer que les Gun et les Fon sont cousins. Oh certes, à Xogbonou[2],
on parle le « alada gbe », la langue d’Alada et les Gun tout comme
les Fon reconnaissent, lorsqu’ils sont cultivés dans leurs propres sources
orales, savent bien que leurs origines ancestrales sont bien à Allada[3]
même si l’histoire plus récente a prouvé que les liens de parenté n’ont pas
suffi à éviter les nombreuses guerres dues aux intérêts commerciaux et de
pouvoir. Avoir maintenu ce sujet d’étude signe la grande ouverture d’esprit de
l’homme, son sens de la patrie qui ne se limite pas aux berges de la lagune à
Porto-Novo ou du pays yoruba voisin. On peut aussi y lire la curiosité et donc
l’intelligence du chercheur, son audace même, qualités qui ont toujours été
appréciées dans le monde de la recherche universitaire. Voici donc un Gun de
naissance, pétri de culture Yoruba qui se tourne vers ses cousins Fon pour les
étudier et restituer en français les résultats de ses travaux. Senghor disait
que le métissage était l’avenir de l’humanité. J’imagine qu’il l’entendait tant
au sens figuré que réel. Voici donc un vrai métis culturel qui ne trompe pas et
qui chaque fois se mettra à la hauteur des exigences de chacune des cultures
concernées. Il convient, me semble-t-il, de prendre en compte les combats
politiques de l’homme partisan du RDA et grand panafricaniste, convaincu que
l’isolement ne nous mènera nulle part et que l’ouverture sur l’autre, sa
rencontre, sur la base de l’égalité tout de même sont les gages d’un avenir
meilleur.
L’introduction de l’ouvrage nous rappelle
aussi une des qualités humaines du chercheur : sa grande humilité. Elle le
pousse à accepter la proposition de Mme Denise Paulme, « l’étude des récades des rois du Dahomey dont le
Musée possédait un grand nombre d’exemplaires, hérités de l’ancien Musée du
Trocadéro et datant, pour la plupart, d’avant et d’aussitôt après la conquête
du Dahomey »(Adandé, 1962 :9). Les maîtres ont toujours été des guides dans la formation de la relève. S’ils
indiquent despistes et ouvrent des voies, ils ne peuvent contraindre à les
emprunter. Feu Alexandre Sènou Adandé fut suffisamment perspicace pour
pressentir que malgré les possibles difficultés, le sujet serait de grande
utilité pour la postérité.
Ce ne sont pourtant là que les prémisses. Le
chercheur fait la preuve de sa maîtrise des principes méthodologiques lorsqu’il s’empare de son
sujet et, après avoir situé par une carte(Adande, 1962verso du sommaire) que
l’on retrouvera dans la plupart des ouvrages sur le Dahomey jusqu’à nos jours,
l’analyse, en fait l’historique en rapport avec le manche de houe qui se
transforme en objet de parade, le décrit dans sa forme et en montre la
ressemblance formelle avec la hache senoufo de parade en cuivre ancien(Adande,1962 :20).
La culture
anthropologique, ethnologique et historique apparaît dans l’examen des types
d’objets similaires en Afrique de l’Ouest : « Au
Soudan », écrit-il, » la crosse en bois rappelant la récade est une
arme masculine et symbolise la force. Elle surmonte le toit des temples de la
divinité BINU. Chaque famille avait son Binu, espèce animale à laquelle elle
voue un respect particulier en mémoire d’une alliance autrefois conclue entre
l’animal de cette espèce et l’ancêtre de la famille ». Puis notre chercheur passe en Haute Volta, au
Congo belge où il trouve des objets de facture similaire.
C’est toutefois dans la suite de
l’analyse que l’on devrait saisir le génie créateur de l’ethnologue. La simple
observation de l’objet, s’il pouvait conduire à son utilisation dans la
diplomatie et cela de façon universelle, ne prédisait pas ses rapports avec les
tambours que l’on ne retrouve pas dans toutes les cultures. Le chercheur a mis à nu de tels rapports et
retranscrit la chanson célèbre maintenant de « Dada Sègbo ma Wa nude et ma non wa o gbè nude ni wa bo wa sè mè
vo ». Elle ne fut pas la seule et d’autres comme celles des amazones
ont aussi été retranscrites . Mais celle-ci est bien à sa place ; elle a
la particularité d’amener dans l’arène sa majesté, le roi des Fon. Et il danse.
Les images que nous offre l’ethnologue à cepropos ne sont pas ternes car le roi
le fait devant tous, suivi de ses ministres qui l’imitent. On comprend ainsi ce
qui est dit à mot couverts : le monarque partage la culture de ses sujets
mais mieux qu’eux, il manipule, à cette occasion, la récade avec une adresse
remarquable : « A la fin
de ce chant, préambule à la danse royale, les servants dégagent rapidement le
passage afin que le roi puisse entrer librement dans le cercle de la danse.
Celui-ci s’avance majestueusement, décroche sa récade de l’épaule gauche, la
brandit en l’air et la ressaisit de la main droite…Les ministres peuvent danser en tenant leur
récade mais les griots « tiennent leur
récade spéciale appuyée sur le sol ». Son utilisation n’est donc pas la même pour tous. Beaucoup se
souviendront que cette chanson a été exécutée par l’auteur lors du colloque du
centenaire de la mort du roi Glèlè, à Abomey, à la grande émotion des
participants dont certains se dont donnés la joie de reprendre le refrain.
Voilà donc un Gun qui va au cœur d’une culture sœur pour y prendre ce qui s’y
trouve de meilleur.
2°) Un
corpus substantiel et international
Les
historiens d’art admireront l’étendue du corpus de récades utilisé pour
la démonstration mais aussi pour la comparaison qui est allée des objets
présents à Paris et qui se nombrent à 112 aux 49 encore conservés à l’époque au
musée historique d’Abomey(Adandé, 1962 :32). Dans ce genre, la centaine depièces est
requise pour pouvoir tirer des conclusions crédibles. Nous sommes bien, avec un
total de 161 pièces en droit d’espérer que les résultats sont sûrs. Il eût
certainement été possible de l’étendre aux collections présentes dans les
autres établissements similaires en France comme ceux de Lyon, de la Rochelle,
de Nantes célèbre pour la traite des Esclaves. La comparaison avec ce que
d’autres musées en Europe détenaient aurait aussi pu être très instructive.
Mais le mieux est souvent l’ennemi du bien et il convient de ne pas oublier que
nous sommes dans le contexte colonial où chaque maître devait défendre et
protéger sa colonie.
Les historiens et anthropologues d’art
s’étonneront sans doute de constater que, tan disque tous les rois d’Abomey à
l’exception de Adandozan (1797-1818) ont au moins une récade dans la collection
du Musée de l’Homme, ni Dako qui a régné vers 1610, ni Akaba (1680-1708), ni
Tegbessou(1728-1775) et Adandozan(1797-1818) n’en aient
une seule dans les réserves du Musée d’Abomey.
A la lecture de l’ouvrage, ils constateront
que les rois n’étaient pas les seuls à détenir des récades mais que les reines
ou les princes, les guerriers Blu[4],
les Wesi, les dignitaires de culte comme ceux de Xebioso pouvaient aussi en
posséder et qu’à nouveau, le nombre de ceux que l’on trouve en
« métropole » est de loin plus important que celui dont dispose le
musée historique d’Abomey. Ce constat amène naturellement à se demander si de
toutes celles qui sont dans les réserves du grand musée parisien, aucune ne
peut servir à combler les vides de collection dans le pays d’origine. Ce n’est
peut-être pas le lieu de plaider à nouveau pour la restitution des biens
culturels. Mais les spécialistes de la question estiment à raison aujourd’hui
qu’un tel acte ne serait que justice. C’est le cas de Godonou
Alain(2007 :114) qui décrit le manque drastique dont souffrent les musées
africains incapables, à l’instar de leurs pairs occidentaux, de continuer
d’éduquer leur jeunesse à partir de leur propre patrimoine : « …Quand bien même les marbres du Parthénon ne
retourneraient pas en Grèce, les jeunes grecs d’aujourd’hui ont la chance de
disposer d’institutions muséales ou patrimoniales suffisamment riches en
témoignages de la civilisation grecque, et qui tiennent une place importante
dans leur éducation, alimentant leur imaginaire et leur réflexion sur le monde…Que ceux qui ont
du mal à appréhender ces données essayent d’imaginer que l’essentiel des
collections des musées européens d’histoire et d’art témoignant des
civilisations grecque, romaine, de la Renaissance, etc., jusqu’au début du
siècle dernier, se trouve hors d’Europe, pour comprendre les manques et les traumatismes
que cela représenterait pour les fondations historiques, philosophiques,
technologiques des cultures européennes, et pour les héritiers de ce patrimoine ».
Il a fallu que l’ethnologue se rende bien à Paris
pour pouvoir étudier les récades des rois du Dahomey. Si personne ne se
scandalise de ce fait parce que nous étions encore très proche de la période
coloniale, aujourd’hui, un tel déplacement, même pour des raisons d’étude, se
justifie de moins en moins et s’explique d’autant moins aussi. Monsieur Didier
Houenoude, au dernier congrès du CIHA à Nuremberg[5] a présenté une communication « Objet de musées et enseignement de
l’histoire de l’art au Bénin » où il montre la réelle difficulté qu’un
enseignant a aujourd’hui à discuter de pièces d’art de grand symbolisme
absentes des collections nationales comme c’est le cas du siège du roi Béhanzin
propriété du Musée du Quai Branly aujourd’hui.
Les lecteurs s’émerveilleront de la
profondeur de l’analyse qui montre comment naît une œuvre symbolique de la
victoire des aladahonou[6]
sur leurs ennemis, comment la houe, outil aratoire, se transforme en un objet
de parade qui s’accroche, sur les beaux vêtements ; s’ils habitent
l’actuelle République du Bénin ils constateront que la récade est devenue la
pièce indispensable désormais pour marquer les pas de danse..
3° L’univers
des picto-idéogrammes du peuple Fon
L’auteur montre aussi à travers sa
présentation, que le peuple Fon est un remarquable créateur d’idéogrammes. Il
convient donc tout d’abord de s’émerveiller de la richesse de cet imaginaire Fon qui voit dans le bout de
bâton courbé non seulement un manche de houe mais une tête de lion, avec une
crinière sans jamais perdre de ses aptitudes premières d’arme ou de massue
que l’on peut l’agrémenter de diverses manières que l’ethnologue- chercheur a
décrites par les images qu’il nous en a montrées. Le verbe-imagé est bien la
particularité des civilisiations de l’oralité. Le roi en disant qu’il est un
lion laisse bien percevoir sa domination sur tous les animaux de la
forêt ; mais la métaphore animalière qu’il utilise peut se transformer
assez facilement en un objet concret revêtu de la forme suggérée. Fort
heureusement, tous les rois du Danxomè ont procédé de cette même manière
offrant du coup un large éventail d’images que les artistes et créateurs de
cour sauront utiliser pour les célébrer. Ils pourront aussi recourir aux textes
du kpanlingan qui, malgré son caractère oral, se prête facilement à une bonne
visualisation. Jérôme Alladaye dans son ouvrage sur le kpanlingan(2010 :7)
a bien raison de se référer à un autre grand maître de l’utilisation des
sources orales pour construire l’histoire Joseph Ki-Zerbo qui dit
ceci : « l’écrit, si utile
soit-il, fige et dessèche. Il décante, dissèque, schématise et pétrifie :
la lettre tue. La tradition orale habille de chair et de couleurs. Elle irrigue
de sang le squelette du passé. Elle présente sous les trois dimensions ce qui
est trop souvent écrasé sur la surface bidimensionnelle de la feuille de papier ».
Les images de Ki-Zerbo sont bien
aussi celles du monde de l’art, et on pourrait bien se demander s’il ne fait
pas allusion à la peinture et à la sculpture, laquelle a été jusqu’à présent
considérée comme le principal mode d’expression de l’Afrique.
Il est à déplorer que l’ensemble de l’ouvrage de
Jérôme Alladaye ne s’occupe que de l’histoire stricto sensu et n’aborde
nullement la qualité des images visuelles suggérées par les textes oraux dont
la culture Fon est si friande et qu’elle a su transformer en picto-idéogrammes
sur les calebasses gravées ou pyrogravées, sur les toiles appliquées ou les
bas-reliefs et aussi sur lesrécades dont elles constituent la partie
supérieure.
C – Un terrain de recherche peu courru.
Peu de recherches ont continué à être
faites sur ce sujet. Il me souvient que le Museum National d’Histoire Naturelle
à Paris, a entrepris il y a une dizaine d’années déjà, de reprendre ces études.
Il conviendrait, qu’au plan national, la même démarche soit entreprise et que
sur la vieille corde de nouvelles puissent se tisser. Le sujet se prête à de
belles études de sociologie et d’anthropologie de l’art dont l’histoire de
l’art elle-même et l’esthétique se nourrissent. Il pourrait par exemple
permettre d’analyser la dispersion du modèle Fon de pouvoir en dehors du noyau
central de ce pouvoir qui, du point de
vue des arts, a surtout pris aux autres pour se dire et se faire. Pourquoi le
royaume cousin de Xogbonou n’a-t-il pas de récade dans ses armoiries et ses
pratiques ? Quelle pièce la remplace et à quels usages ? Associé à d’autres regalia, la récade pourrait
montrer une volonté de vulgarisation de modèle vestimentaires pour des classes
précises de citoyens, les chanteurs traditionnels par exemple. Enfin, les dons
des affaires étrangères et des institutions internationales n’ont-elles pas, à
partir de cette pièce, créé de nouveaux besoins de décoration et la récade
n’est-elle pas devenue un puissant marqueur d’identité béninoise aussi fort que le kente pour le Ghana ?
C’est à l’Afrique qu’il apppartient de veiller à la préservation de ces signes
culturellement forts et dont le lien avec notre passé continue d’être présent
au cœur de nos cités, de nos us et coutumes.
Joseph
C E ADANDE
Bibliographie Sommaire
Adandé, A, 1962 : Les récades des rois du
Dahomey, Ifan, Dakar, 104 pages, 37 pages de planches, carte
AkideleAkinsowon : Iwe itan
Ajase ati oniruru, owo keji, Printed by The Ife-Olu Printing works, Lagos
Nigeria, sd, 126 p
Godonou Alain, 2007 : « A propos
del’universalité et du retour des biens culturels » in Réinventer les musées,
Africultures, Dossier n° 70, pp 114-117
Herskovits, M,J, 1967 :
Dahomey, an ancient West African Kingdom, Northwestern University Press,
Evanston, 2 vol.
Pazzi, R, 1973 : Notes sur l’aire culturelle
d’origine AJA,Lomé, 1973, 130 pages, ronéotypées, carte
Houenoude, Didier, 2012 : « « Objet de musées et enseignement de
l’histoire de l’art au Bénin » Communication au Congrès du CIHA, Nuremberg
2012 en cours de publication.
[2] Xogbonou, Adjatchè et Porto-Novo désignent la même ville. La première
appellation signifierait « devant la grande case » en référence à un
grand édifice qu’y aurait construit Tè-Agbanlin, fondateur de la ville.
Adjatchè est l’appellation Yoruba de la même cité. Elle traduirait la victoire
des Adja de l’Ouest sur les Yoruba fondateurs du premier noyau urbain.
Porto-Novo serait dû à Eucaristus De Campos qui en voyant la ville aurait pensé
qu’elle ressemblait à la ville de Porto au Portugal, mais ce serait la nouvelle
Porto ou le nouveau port…de la traite. Pour cette dernière version, on peut se
référer à « Iwe Itan Ajase de Akindele Akinsowon »,P5 : « Awon oyinbo Aguda ti o nse owo Eru ni o fun ilu yi ni oruko Porto-Novo, Itumo
eyiti ise « Ebute Titun » « Ce sont les portugais trafiquants
d’esclaves qui ont donné le nom de Porto-Novo à cette ville, dont la
signification est « nouveau port ».
[3] Allada qui devrait s’écrire Alada, est le point d’arrêtimportant de la
migration des fils du roi de Tado qui fonderont par la suite les trois royaumes
cousins d’Alada, Agbomè et Xogbonou.
[4] Les Blu ou Blunu sont une aile de l’armée du Danxomè composée
essentiellement, selon les sources orales, de ressortissants de l’Ashanti, ou
de l’ouest du royaume du Danxomè. Pazzi (1973 :123) estime que
l’lappelation désigne les peuples d’origine « Tekyiman ».
[6] Le terme désigne les migrants
d’Adja-Tado installés à Allada d’où ils iront à l’assaut d’autres espaces et
s’y installeront comme rois.
Bonjour
RépondreSupprimerOù pourrais je trouver ce livre à acheter? Un numéro, un lieu?